Paludisme : résistance partielle à l’artémisinine

9 janvier 2025 | Questions & réponses

Pour combattre et éliminer le paludisme, il est essentiel de disposer de médicaments antipaludiques efficaces. Un suivi régulier de l’efficacité des médicaments s’impose pour orienter les politiques de traitement dans les pays d’endémie palustre et assurer la détection précoce de la pharmacorésistance et une intervention rapide.

Extraite de la plante Artemisia annua, ou armoise annuelle, l’artémisinine et ses dérivés sont des médicaments puissants qui font baisser rapidement le nombre de parasites du genre Plasmodium dans le sang des personnes atteintes de paludisme.

L’OMS recommande les polythérapies à base d’artémisinine comme traitement de première et de deuxième intention du paludisme à P. falciparum non compliqué et du paludisme à P. vivax résistant à la chloroquine. Les polythérapies à base d’artémisinine associent un dérivé de l’artémisinine (l’artésunate, l’artéméther ou la dihydroartémisinine) à un autre médicament. Le rôle du composé d’artémisinine est de faire baisser le nombre de parasites pendant les trois premiers jours de traitement (réduction de la biomasse parasitaire), alors que le médicament associé vise lui à éliminer les parasites restants (guérison).

L’OMS recommande actuellement six polythérapies à base d’artémisinine différentes (*). Deux traitements injectables, l’artésunate ou l’artéméther, sont recommandés pour le traitement du paludisme sévère et doivent être suivis d’une polythérapie à base d’artémisinine lorsqu’un traitement par voie orale est toléré.

L’élargissement de l’accès aux polythérapies à base d’artémisinine dans les pays où le paludisme est endémique a joué un rôle essentiel dans la réduction remarquable de la charge mondiale du paludisme au cours des 15 dernières années. Les fabricants ont fourni près de 4,5 milliards de traitements par polythérapie à base d’artémisinine dans le monde entre 2010 à 2023. On estime que 68 % de ces achats auraient été distribués au secteur public dans les pays où le paludisme est endémique.

* Artésunate-amodiaquine ; artésunate-méfloquine ; artésunate-pyronaridine ; artésunate + sulfadoxine-pyriméthamine ; artéméther-luméfantrine ; dihydroartémisinine-pipéraquine.

L’expression « résistance partielle à l’artémisinine » désigne généralement un retard dans l’élimination des parasites du paludisme dans le sang après un traitement par polythérapie à base d’artémisinine. Chez les personnes infectées par des souches partiellement résistantes à l’artémisinine, celle-ci est moins efficace et tous les parasites ne sont pas éliminés en trois jours.

Des études ont montré que les mécanismes de résistance développés par les parasites contre les composés de l’artémisinine n’affectent qu’un seul stade du cycle du parasite du paludisme chez l’être humain : le stade annulaire. Il est donc plus approprié d’appeler « résistance partielle » le retard d’élimination, pour bien montrer que ce phénomène est limité dans le temps et concerne uniquement un stade particulier du cycle du parasite. On ne sait pas si la résistance partielle à l’artémisinine pourrait évoluer encore pour affecter d’autres stades du cycle du parasite et se transformer en résistance totale. Aucune résistance « totale » à l’artémisinine n’a été rapportée.

Actuellement, même en cas d’infection par des parasites partiellement résistants à l’artémisinine, presque tous les sujets traités par polythérapie à base d’artémisinine sont complètement guéris à condition que le médicament associé soit très efficace dans la zone géographique concernée. En l’absence de résistance au médicament associé, la résistance partielle à l’artémisinine conduit rarement à l’échec du traitement. En outre, rien n’indique que la résistance partielle à l’artémisinine ait entraîné à elle seule une augmentation de la morbidité et de la mortalité palustres dans les endroits où elle a été détectée.

On dispose désormais de données montrant clairement la présence de parasites partiellement résistants à l’artémisinine dans le bassin du Mékong et en Afrique – en particulier en Érythrée, en Ouganda, en République-Unie de Tanzanie et au Rwanda.

Fin 2013, des chercheurs ont identifié un nouveau marqueur moléculaire : ils ont constaté que des mutations dans le domaine propeller du gène PfKelch13 (K13) étaient associées à un retard d’élimination du parasite in vitro et in vivo à la suite de traitements par des artémisinines. Le marqueur moléculaire permet une cartographie et un suivi plus précis de la répartition géographique de la résistance partielle à l’artémisinine.

La résistance partielle à l’artémisinine est probablement apparue pour la première fois dans le bassin du Mékong avant 2001, soit avant le déploiement généralisé des polythérapies à base d’artémisinine. Des études moléculaires ont montré que la résistance partielle à l’artémisinine est apparue indépendamment à plusieurs endroits du bassin du Mékong.

En Afrique, une résistance partielle à l’artémisinine a été confirmée en Érythrée, en Ouganda et en République-Unie de Tanzanie et au Rwanda. Ces parasites sont apparus indépendamment et ne se sont pas propagés à partir de l’Asie du Sud-Est. Sur la base des données disponibles, une telle résistance est également présumée en Éthiopie, en Namibie, au Soudan et en Zambie.

La résistance partielle à l’artémisinine se manifeste par un allongement de la durée d’élimination des parasites après traitement avec un médicament contenant de l’artémisinine. Des études in vitro et in vivo ont montré que cet allongement de la durée d’élimination des parasites est associé à des mutations dans le domaine BTB/POZ et dans le domaine en hélice (« propeller ») du gène PfKelch13 (PfK13). À ce jour, plus de 260 mutations non-synonymes du gène PfK13 ont été rapportées. Cependant, les parasites porteurs de mutations non-synonymes du gène PfK13 qui ont été rapportés ne présentent pas tous une résistance partielle à l’artémisinine ; certains peuvent également correspondre à des génotypes apparus de novo mais qui n’ont pas été sélectionnés.

Différentes mutations du gène PfK13 ont des effets variables sur le phénotype d’élimination. L’OMS a établi une liste de marqueurs de la résistance partielle à l’artémisinine, classés comme candidats ou validés. Les critères de classification des marqueurs de la résistance partielle à l’artémisinine liés aux mutations du gène PfK13 sont présentés dans l’encadré ci-dessous.

Marqueurs candidats de la résistance partielle à l’artémisinine associés à une mutation du gène PfK13

  1. Association statistiquement significative (p <0,05) entre une mutation du gène PfK13 et une demi-vie de clairance >5 heures ou une parasitémie au troisième jour, déterminée par un test du χ² ou un modèle de régression multivarié approprié sur un échantillon d’au moins 20 cas cliniques 
    OU
  2. Survie de >1 % en utilisant le test RSA0-3h sur au moins cinq isolats présentant une mutation donnée ou une différence statistiquement significative (p <0,05) d’un test RSA0-3h entre des lignées parasitaires isogéniques recombinantes adaptées au milieu de culture, produites à l’aide de techniques de transfection et d’édition de gènes, et qui expriment un allèle variant du gène PfK13 par rapport à l’allèle de type sauvage.

Marqueurs validés de la résistance partielle à l’artémisinine associés à une mutation du gène PfK13 

Les conditions 1 et 2 sont remplies.

La liste des marqueurs validés et candidats est continuellement mise à jour. La liste actuelle est fournie ci-dessous ; toutes les mutations sont situées dans les domaines BTB/POZ et propeller du gène PfK13. En dehors de ces domaines, deux mutations ont été fréquemment rapportées dans les études cliniques : K189T et E252Q. La mutation E252Q a été associée à un allongement de la durée d’élimination ; in vitro, cette association semble cependant dépendre d’autres mutations. La mutation A578S a été identifiée dans plusieurs études en Asie et en Afrique mais n’a pas été associée à une résistance clinique ou in vitro à l’artémisinine.

Marqueurs de la résistance partielle à l’artémisinine associés à une mutation du gène PfKelch13

Marqueurs validésMarqueurs candidats
F446IP441L
N458YG449A
C469YC469F
M476IA481V
Y493HR515K
R539TP527H
I543TN537I/D
P553LG538V
R561HV568G
P574L
C580Y
R622I
A675V


L’efficacité des polythérapies à base d’artémisinine recommandées par l’OMS est évaluée au moyen de tests d’efficacité thérapeutique (TET). Ces tests, réalisés à intervalles réguliers aux mêmes endroits, permettent de détecter rapidement les baisses d’efficacité des médicaments et ainsi de disposer de données pour orienter les politiques nationales en matière de traitement du paludisme.

Alors que la résistance partielle à l’artémisinine conduit rarement, à elle seule, à l’échec du traitement, dans le bassin du Mékong, on constate également une résistance à un certain nombre de médicaments associés utilisés dans les polythérapies à base d’artémisinine. En conséquence, plusieurs combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine échouent dans le Bassin du Mékong. La gestion de la pharmacorésistance nécessite une surveillance étroite, mais il existe encore des polythérapies à base d’artémisinine pour traiter les patients même dans les zones où la résistance est la plus forte.

En Érythrée, au Rwanda, en Ouganda et en République-Unie de Tanzanie, où la résistance partielle à l’artémisinine a été confirmée, des TET sont en cours pour veiller à l’efficacité continue des polythérapies à base d’artémisinine recommandées dans la politique de traitement national. Dans d’autres régions de l’Afrique, des échecs thérapeutiques ont été rapportés dans quelques TET de l’artéméther-luméfantrine et de la dihydroartémisinine-pipéraquine. L’OMS collabore avec les pays et des partenaires pour déterminer si ces échecs sont liés à la résistance aux médicaments utilisés dans les polythérapies à base d’artémisinine.

Dans le bassin du Mékong, la surveillance de l’efficacité et de la résistance a été améliorée et l’élimination du paludisme s’est poursuivie afin de lutter contre la résistance.

En collaboration avec les programmes nationaux de lutte contre le paludisme et ses partenaires, l’OMS a dirigé l’élaboration de la Stratégie pour l’élimination du paludisme dans le bassin du Mékong (2015-2030). Grâce aux orientations techniques de l’OMS, tous les pays du bassin du Mékong ont élaboré des plans nationaux d’élimination du paludisme conformes à cette stratégie. Au fur et à mesure que les pays mettent en œuvre ces plans, l’OMS fournit un appui technique continu par l’intermédiaire de ses cinq bureaux de pays dans le bassin du Mékong, de ses bureaux régionaux à New Delhi et à Manille et de son Siège à Genève.

En outre, l’OMS a lancé en 2017 le Programme d’élimination du paludisme dans le bassin du Mékong. L’équipe infrarégionale du Programme à Phnom Penh (Cambodge) appuie la stratégie d’élimination du paludisme en facilitant la coordination et le dialogue entre les partenaires, en communiquant avec les parties prenantes externes et en coordonnant les initiatives transfrontalières. Des progrès impressionnants ont été réalisés en vue d’éliminer P. falciparum du bassin du Mékong d’ici à 2023. 

L’apparition d’une résistance partielle à l’artémisinine en Afrique nécessite de prendre des mesures pour que des traitements efficaces restent disponibles. Dans l’immédiat, il faut apporter un soutien pour améliorer la surveillance phénotypique et génotypique afin d’avoir une idée plus précise de l’étendue de la résistance. Des plans sont en cours d’élaboration pour aider les pays à résoudre les problèmes susceptibles d’entraîner une propagation de la résistance. 

La résistance partielle à l’artémisinine est probablement survenue en raison de plusieurs facteurs : mauvaises pratiques thérapeutiques, mauvaise observance des traitements antipaludiques prescrits et grande disponibilité de monothérapies orales à base d’artémisinine, y compris de qualité inférieure.

Intervenir à plus grande échelle exigera des ressources financières considérables, un engagement politique à long terme et une coopération transfrontalière solide. L’une des tâches les plus urgentes est de renforcer la réglementation du marché pharmaceutique et de retirer du marché les monothérapies orales à base d’artémisinine et les médicaments de qualité inférieure.

En novembre 2022, l’OMS a lancé une nouvelle stratégie de riposte face à la résistance aux antipaludiques en Afrique. Cette stratégie vise à lutter contre la pharmacorésistance, notamment en suivant sa propagation, en recensant les populations les plus à risque et en mettant au point des traitements de substitution viables.

Les polythérapies à base d’artémisinine restent le meilleur traitement disponible contre le paludisme à P. falciparum non compliqué, et l’apparition d’une résistance partielle à l’artémisinine ne doit absolument pas amener les soignants et les soignantes à hésiter à prescrire ou les patients et les patientes à hésiter à utiliser des polythérapies à base d’artémisinine en cas de paludisme confirmé.

Les efforts déployés pour éliminer le paludisme dans le bassin du Mékong sont rendus possibles par les généreuses contributions de plusieurs donateurs : le Ministère australien des affaires étrangères et du commerce ; la Fondation Bill et Melinda Gates ; le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme (le Fonds mondial) ; le Bureau des affaires étrangères, du Commonwealth et du développement du Gouvernement britannique ; et l’Agence des États-Unis d’Amérique pour le développement international.

Après l’apparition d’une résistance partielle à l’artémisinine dans le bassin du Mékong, le Fonds mondial a lancé en 2013 l’Initiative régionale de lutte contre la résistance à l’artémisinine (RAI). Le financement apporté dans le cadre de cette initiative a permis aux pays d’acheter et de distribuer des produits tels que des moustiquaires à imprégnation durable (MID), des tests de diagnostic rapide et des médicaments de qualité garantie. En 2020, le Fonds mondial a annoncé l’extension de l’Initiative RAI (RAI3E), en engageant 228,3 millions de dollars des États-Unis supplémentaires pour la période 2021-2023.

L’OMS est en pourparlers avec des donateurs pour intensifier ses efforts dans les régions d’Afrique touchées par la résistance.